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Dis-moi comment tu imagines la création du monde et je te dirai d’où tu viens

3 mai 2024
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D’où vient l’univers ? Qui l’a inventé ? À partir de quoi notre planète est-elle née ? Autant de questions que se posent toutes les ethnies1 sur terre et auxquelles chacune a une réponse originale. Raphaël Rousseleau, professeur à l’Institut d’histoire et anthropologie des religions, étudie les récits qui décrivent la naissance des êtres vivants et de la nature qui les entoure.

Chez nous, aujourd’hui, les personnes croyantes sont en général monothéistes : elles pensent qu’un dieu unique a créé le monde à partir de rien. C’est le cas des chrétiens, des juifs et des musulmans. À l’inverse, d’autres religions sont polythéistes et estiment que plusieurs dieux ont décidé de notre existence. « Dans les sociétés polythéistes antiques – chez les Grecs par exemple – et en Inde de nos jours, la création ne part pas de rien, explique l’anthropologue Raphaël Rousseleau. Elle est souvent organisée par plusieurs divinités à partir d’un chaos2 provoqué par un ancien dieu égoïste. Les nouveaux dieux se partagent alors le pouvoir en fonction de leur domaine de compétence. »

C’est ainsi que se fabriquent à leur tour des mythes, c’est-à-dire toutes sortes d’histoires attachées à un peuple. Celles qui racontent la naissance de notre planète et des humains se nomment des « cosmogonies ». Raphaël Rousseleau a étudié les récits de création en Inde, dans les traditions hindoues, où la terre émerge des eaux. Parmi eux, des groupes autochtones3, les Adivasi, ont une vision étonnante des origines : nous devons notre existence terrestre à un ver de terre ! « Le monde était couvert d’eau et un ensemble d’animaux, un crabe, un poisson, etc., ont essayé de faire remonter la terre du fond des océans, résume le chercheur. Seul le ver y est parvenu. Il a constitué un ensemble assez solide pour pouvoir être habité : notre planète. »

Pexels Jess Vide 7510251

«…Selon l’une de leurs légendes, une fois la terre créée, l’humanité serait née de jumeaux (…) Leurs pleurs auraient ému un palmier qui a demandé de l’aide à l’océan. L’océan a arrosé l’arbre qui a ainsi pu donner à boire aux enfants et les a aidés à grandir..»

Raphaël Rousseleau

En immersion

Le professeur a vécu un an et demi dans un village indien chez les Jodia Poraja (nom qui signifie « peuple du ruisseau »), un groupe de paysans qui cultive le riz dans le lit des rivières. Selon l’une de leurs légendes, une fois la terre créée, l’humanité serait née de jumeaux, un garçon et une fille, nés dans la forêt et abandonnés par des parents partis se nourrir. Leurs pleurs auraient ému un palmier qui a demandé de l’aide à l’océan. L’océan a arrosé l’arbre qui a ainsi pu donner à boire aux enfants et les a aidés à grandir. Aussi intéressants soient-ils, de tels mythes sont parfois utilisés pour justifier la place de certaines populations, comme le souligne l’anthropologue.

« Les Jodia Poraja sont fiers de leurs origines issues de la terre, mais ce mythe les enferme dans une position inférieure par rapport aux autres castes4. En effet, le liquide qui sort du palmier est utilisé pour produire un alcool consommé par les villageois et qui est très mal vu par les hautes castes hindoues. »

Humains et nature forment un tout

Chez la plupart des peuples autochtones, la nature tient une place très importante dans ces récits de création. Faune et flore sont unis et peuvent communiquer. « Tous les êtres de la nature ont ici des liens de parenté, comme les sociétés humaines, souligne le professeur. Ces êtres ont des corps différents, mais à l’intérieur de chaque élément naturel (fleur, animal), on trouverait une sensibilité. » Le spécialiste ajoute qu’en Amazonie, par exemple, la communication passe par les rêves. On peut alors dialoguer avec l’esprit d’une plante par exemple. « Chez les Jodia Poraja, on honore la divinité du riz et la « mère du millet ». En Indonésie, on honore la « mère du riz ». Elles sont responsables de la fécondité des champs pour que la récolte soit bonne. Cela implique un respect des règles de l’agriculture. Il faut qu’il y ait un équilibre dans les échanges avec l’environnement. Chez les Inuits, au Groenland, on respecte Sedna, la déesse de la mer, en chassant et en pêchant sans faire souffrir les animaux et sans en capturer trop. »

Aurait-on des leçons à tirer de cette vision du monde ? « Oui et non. Dans les villages ou les endroits reculés, la nature n’est pas idéalisée comme nous pouvons parfois le faire chez nous. La vie de ces groupes dépend du résultat de récoltes ou de la chasse. Ils doivent donc trouver un équilibre avec leur environnement, qui envoie des maladies et des catastrophes naturelles. Même si on respecte la nature, on la craint aussi. Toutefois ne pas exploiter au maximum ses richesses pour des raisons économiques pourrait être une source d’inspiration pour notre société de consommation. »

« L’anthropologue mène ainsi une sorte d’enquête qui permet de comprendre comment fonctionne une société, et les différences et parallèles qui existent avec la nôtre. »

Raphaël Rousseleau

Pexels Anugrahajaylohiya 1583571

En quoi consiste le métier d’anthropologue ?

Raphaël Rousseleau : « Un anthropologue part étudier sur un temps assez long des groupes de personnes qui vivent dans une société particulière. Il travaille au moins un an sur place afin d’avoir une idée précise de cette société. L’idée est de vivre avec les habitants du lieu, de connaître leur quotidien et de participer aux rituels qui rythment leur vie (enterrements, mariages, etc.). L’anthropologue mène ainsi une sorte d’enquête qui permet de comprendre comment fonctionne une société, et les différences et parallèles qui existent avec la nôtre. »

Idées de réflexion :

Et toi, dans quelle société lointaine aurais-tu envie de partir pour une année ?

Et toi, que t’inspire la nature qui t’environne ?

Et toi, quelles autres mythologies sur la Création du monde connais-tu ?

Vishnou

Le sais-tu ?

  • L’hindouisme a un texte fondateur très ancien, le Veda, mais aussi de nombreux autres bien plus récents. Pratiquer les rites y compte plus que de lire les textes.
  • Dans l’hindouisme, chaque être qui meurt renaît ensuite sous une autre forme. C’est ce qu’on appelle la réincarnation.
  • Le dieu Vishnou n’a pas créé le monde, mais il fait tout pour qu’il survive. On dit qu’il a douze incarnations: il participe à des cycles de création et de destruction de la terre en revenant à chaque fois sous une autre forme. Il est chargé de remettre de l’ordre dans le monde.

Statue du dieu Vishnou, chargé de remettre de l’ordre dans le monde à chacune de ses incarnations.

Retrouvez cet article et bien d’autres dans le magazine jeunesse des Mystères Va Savoir n°3! Destiné à un lectorat de 8 à 12 ans, le magazine Va Savoir!, propose des articles et des interviews de chercheurs et chercheuses de l’UNIL, des jeux et des informations pour devenir incollable sur plein de sujets. Le magazine est disponible sur place durant la manifestation ou après via téléchargement sur notre site.

Autrice: Virginie Jobé-Truffer pour Va Savoir! n°3, parution en mai 2024.

Illustratice: Agathe Borin pour Va Savoir! n°3, parution en mai 2024.

  1. Ethnie : groupe d’humains qui parlent la même langue, ont la même culture, les mêmes traditions et un mode de vie identique. ↩︎
  2. Chaos : désordre énorme qui régnait avant la création de la Terre. ↩︎
  3. Autochtone : personne dont les ancêtres lointains habitaient déjà le lieu où elle vit. ↩︎
  4. Caste : classe sociale fermée dont on ne peut pas sortir. ↩︎

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